jeudi 23 décembre 2010

Astres Draconiques


On prétend que l’infinité amorça son existence dans le néant. On avance aussi l’idée d’une cristallisation de la substance qui aurait créé les astres élémentaires. Certains affirment qu’un seul morceau fut imaginé, mais cette histoire en comporte néanmoins deux. Nul ne sait d’où ils provenaient ni leur destinée, car ils semblaient dériver de manière erratique vers un lieu nébuleux. Toutes deux éblouissaient d’une magnificence insoutenable, l’un flamboyait de rubans de flammes et l’autre voguait sur un voile d’azur scintillant. Leur solitude et leur distance naturelle ne leur causaient aucun chagrin, car leurs émotions appartenaient au domaine de l’abstrait.
L’astre étincelant se nommait Scérinath, évoquant pureté et valeur. Yaël, la lune aquatique, sombrait dans le mystère et l’ésotérisme. Ils nageaient dans ce cosmos infini sans appréhensions temporelles.
On stipule que le temps n’existait pas à cette époque, que tout se produisait maintenant et jamais. On ne sait pourquoi il naquit, mais à l’instant où la lune nagea derrière le soleil pour mieux l’observer, le tic-tac céleste débuta.
Les astres, c’est bien connu, perçoivent tout autour d’eux. C’est ainsi que le soleil admira la face cachée de la lune et celle-ci perçut l’énergie des flammes. Une lueur crépita et le néant se fendit, laissant s’échapper un torrent de sensations. La passion naquit, provoquant la fonte de leur isolement et initiant son agonisante percée dans leur âme. Puis, ils s’inondèrent et furent contraints de s’approcher, envoûtés par une étrange pulsion. Un flot d’énergie déferla en un contact exaltant. Les astres concevaient leur défaut, leur imperfection unique. La lune, qui connaissait maints secrets, confia au soleil la clé de l’union.
Yaël fendit les cieux, cédant un peu d’elle-même dans l’univers. Sans l’âme de la lune pour la soutenir, cette substance fluide se solidifia au contact du néant. Puis, la blanche dame demanda au soleil de sacrifier une flamme écarlate à cette terre blafarde. Parmi tous ses rayons éclatants, il élut son plus beau ruban, le plus sinueux, le plus long et le plus chaud et le déposa doucement sur le sol.
La fusion des deux éléments conçut un poisson élancé, jonction de flammes et d’eau. À chacun de ses bouts se profilait une mâchoire féroce et leurs queues se joignaient en son centre. La lune siffla de nouveau dans le ciel et trancha leur lien devant la stupeur du soleil. La lune l’implora de ne rien craindre. En fait, les deux semblaient ne pas en souffrir et se révélèrent plutôt intimes. Advenaient ainsi l’homme et la femme.
Scérinath leur prodigua amour, chaleur et patience et Yaël leur murmura des cachotteries que nul ne considère désormais. Seul le plus important, l’amour ne se perdit point. On dit que dans certains œufs couvés sous la lune se trouvent encore ces murmures.
Par une extraordinaire résonance, la fécondation des poissons provoqua celle des astres. Leur passion fusionna et l’univers était empli d’amour. Scérinath se mit à gonfler, car, bien sûr, la lune légua au soleil la peine de porter. Le soleil intensifia la chaleur de son amour et il rêva d’engendrer d’autres vies. Yaël le supplia de patienter, ce qu’il ne put lui refuser.
Cependant, les poissons commençaient à gémir de famine. Certains des nouveau-nés évoluaient déjà, modifiant leurs nageoires en pattes, et couvrirent les régions les plus durcies du plateau. L’un de ceux-ci s’enracina dans le sol et absorba les vitamines qu’il put y trouver. Ses frères, voyant qu’il se portait mieux, s’enracinèrent à leur tour, instaurant la végétation.
Le soleil enfanta enfin d’un astre solide et patient nommé Nileäs. Ses collines régulières d’un vert profond semblaient couvertes de plantes. Il aimait son père et sa mère ainsi que leur héritage. Ses parents lui signalèrent ses devoirs envers ce monde et il offrit l’une de ses racines. La fusion des trois éléments engendra d’imposantes et majestueuses créatures dotées d’un aspect prédateur. Sans contredit, elles devaient veiller noblement sur leurs sujets. La lune leur apprit plusieurs secrets et, grâce à leur sagesse considérable, ils apprirent sa langue. Les Dragons représentaient la Nature.
Le soleil enfanta ensuite d’un astre gazeux, presque éthéré. Elle s’appelait Aëna et ressemblait à une somptueuse fantôme flottante dans l’euphorie. Sa mère lui apprit tout ce qu’une lune doit savoir et, avec tous les astres, ils voltigèrent dans les cieux, s’émerveillant de la beauté de l’univers et d’eux-mêmes.
Scérinath et Yaël étayaient leur joie, car l’harmonie et l’amour triomphaient. Sa concubine semblait quelque peu soucieuse, mais le soleil n’y prêta nulle attention. De par sa nature, il ne pouvait se méfier de ce qu’il aimait. Sa femme n’osait dissiper cette naïveté de peur que sa générosité s’en fût avec. Une erreur en engendre toujours une autre...
Aëna tremblait de sensibilité, telle une feuille au vent. Rien ne lui échappait et tout l’émouvait, surtout son père, qui contemplait la moindre partie du monde, terminant toujours par elle. En fait, il se peut qu’il destinât la perfection comme conclusion, de la même manière que l’on garde le dessert pour mieux l’apprécier. Quoique ce fût, Aëna se sentit minable et rejetée. Ses larmes brumeuses s’amassèrent en jalousie écumeuse.
Pour se venger, elle exhala sa brume sur le ciel, constituant un rideau entre ciel et terre. Le soleil ne pouvait plus glorifier le royaume qu’il adorait et celui-ci ne pouvait plus exalter son créateur. Le nuage prenait diverses teintes lorsqu’il se mélangeait aux éléments qui l’environnaient. Il couvrait toute une myriade de couleurs, mais laissait souvent des troués, n’ayant pas l’aptitude nécessaire de tout recouvrir. Ces trouées sporadiques se modifiaient rapidement, le temps de laisser une image passer furtivement pour ensuite la cacher et provoquer la tentation.
Scérinath en expulsa des étoiles de fureur. Pour la première fois depuis toujours, il ressentait de la déception. Aëna lui promit qu’elle n’en finirait pas là. Elle engouffra l’une de ces étoiles écarlates et s’immisça dans ses parties les plus intimes comme seule la brume peut le faire.
Yaël la chercha pour se venger à son tour, mais la ruse de sa fille et sa façon de se faufiler partout la dissimulèrent de l’autre côté de la terre, où le soleil n’avait jamais rayonné.

Aëna donna naissance à une espèce de sombres démons, une multitude bien plus impressionnante que celle du soleil. Sa fierté fut exaltante, car, contrairement aux Dragons, chacun de ceux-ci constituait une créature unique. Cependant, la pureté de Scérinath brûlait ces créatures impures.
Nilëas supplia son père de l’arrêter, mais l’amour de celui-ci l’interdisait de punir sa fille. Nilëas se joignit donc à une autre étoile, exigeant son aide pour protéger le domaine qu’il surplombait. Celle-ci engendra des créatures sans air, qui vivrait dans les cavernes et développerait, grâce à leur imagination supérieure, un moyen de détruire le nuage et de protéger les Dragons. Étant dénuées d’air, celles-ci ne sauraient se méprendre sur la brume.
Pour tourmenter davantage le soleil, Aëna révéla au néant qu’on l’avait trompé et qu’il diminuait. Elle le conjura de reprendre ses droits, et, trompée par sa prestance, elle qui était aussi éthérée que lui, il engouffra tout ce qu’il pouvait, commençant par le soleil.
Aëna en profita pour envoyer ses rejetons sur sa mère, femme lunaire du soleil, pour qu’ils la pénètrent de toute part. Nilëas lui opposa une farouche résistance, mais ces démons avaient le pouvoir de la diversité et ils pouvaient exploiter chaque faille. Quelques-uns un réussirent à corrompre l’amour d’Yaël, la transformant en jalousie.
Scérinath, entendant la douleur de sa femme, repoussa violemment le néant. Celui-ci recommença donc son assaut de manière répétée, cyclique. Jusqu’à lors, le temps avait un rythme aléatoire. La redondance du néant donna au temps la puissance d’avancer avec persistance.
Le néant diminuait cependant la masse nuageuse colorée, permettant à l’univers de se considérer pleinement. Le temps, qui engouffrait à la fois passé et avenir, empêchait le soleil de prêter sa lumière aux Dragons qui subissaient l’assaut démoniaque.
Du monde d’en bas, les gens pouvaient admirer le ciel. Dans les étoiles du firmament, les sages semblaient comprendre l’infinité et trouver leur voie. D’autres prétendaient que ce fut plutôt ces étoiles qui entrevoyaient leur destin en considérant l’évolution des sages.
Aëna ricanait de fierté, car la corruption avait atteint son apogée. Désormais, sa mère Yaël désirait être la mère unique de toutes ces merveilleuses créations. Elle rayonnerait sur le monde pour y être adorée. Se détournant de Scérinath, elle leva des marées immenses qui engloutirent les plaines. Pour éviter sa vengeance, les gens la supplièrent de toute leur âme et oublièrent les autres astres.
Et c’est ainsi que le soleil sombra dans la démence et la mélancolie. Son fils affirma, avant d’être engouffré dans le néant, que seulement en purifiant sa mère, Yaël la lune chatoyante, Scérinath pourrait à nouveau irradier. Celui-ci pleura de longues coulisses de larmes qui zébrèrent la terre de failles et éteignirent sa flamme, plongeant l’univers dans les ténèbres brumeuses d’Aëna et de sa mère.
Mais cela est une autre histoire...